Sale temps !
Mon chien qui comme moi est à moitié sourd de la
feuille droite – et aux trois-quarts corné du pied gauche – avait compris "sale thon!".
Je lui prête le dessein volontaire de faire
malgré tout le sourd de service en tournant ostensiblement la mauvaise oreille
en direction de ce qu'il ne veut pas entendre… à moins qu'il ne prenne ses
désirs pour des réalités en se persuadant que le thon susceptible de faire mon
prochain repas est avarié, et que, lui, en profiterait alors pour faire son
ordinaire; ce qui est pour le moins étonnant, les chiens que je sache n'ont pas
spécialement de prédilection pour le poisson, ce serait plutôt l'apanage des
chats, non? En attendant celui-ci, mon chien, se met la griffe dans l'œil et la
queue dans la sauce du poisson… qui n'existe pas. De plus il est de mauvaise
foi sachant pertinemment que tout poisson avarié en ma possession atterri inexorablement dans
la gamelle du faux félin , ami de Colette, en espérant qu'il soit assez pourri
et porteur de germes néfastes et virulents pour au moins donner la colique à ce
faux ami protégé, on se demande pourquoi, par le cardinal de Richelieu.
Je n'ai pas dit
"sale thon", mais bien "sale temps".
En effet, malgré cette météo (de chien!), j'avais décidé une sortie hors de mes
pénates, mais pas trop loin, au fond de ma propriété, i.e. à quinze mètres de
là pour continuer à y détruire les vestiges (datant d'une quinzaine de jours)
de mon barbecue en état de déliquescence avancée. Ce beau barbecue que voici
plus d'une décennie l'Yves en maître d'œuvre accompli dressa avec bonheur et
quelques outils au fond de mon jardin. Mais la qualité du produit étant ce
qu'elle est, les pluies d'ouest ce qu'elles sont, le soleil d'août ce qu'il
fait et les ans ce qu'ils décident sans vraiment demander l'avis du
propriétaire et en toute impunité, petit à petit le monument écrasé tant pas la
chaleur de son foyer que celle d'hélios, ses joints infiltrés insidieusement
par l'humide climat ligérien qui n'a rien à envier à celui de son voisin celte,
ce monument, dis-je, à la gloire du fumet charcutier et des sardines grillées,
lentement, avec certitude, constance et sous la mine désolée de son promoteur
s'est désagrégé, désintégré, décomposé, effrité au point de ressembler en un
temps record aux thermes de Caracalla (actuels) ou au temple d'Ephèse deux millénaires après
leur édification !
Arrivé à ce
stade qui n'a rien d'olympien, la dernière averse datant du début de la
méridienne en ce mois de germinal touchant à sa fin, je me proposais suite à un
accord tacite et unanime personnel et sans l'avis contraire éventuel des
absents (qui ont toujours tort) de programmer une sortie laborieuse dans les
minutes consécutives à une digestion somme toute d'assez bonne facture : point
de poids intempestif sur mon colon ni d'appel d'urgence d'une vessie au bord de
l'explosion. J'enfile mon polaire encore de rigueur, chausse mes sabots
estampillés Truffaut et casquette de
banlieue sur le chef, sans autre forme de procès, m'apprête à exécuter
définitivement l'objet de mon ressentiment dont la description antérieure ne
peut que vous inciter à penser que l'affaire sera rondement menée et carrément
liquidée en deux coups de cuillères à pot et trois de marteau ni piqueur ni aux
abois… comme mon chien lorsqu'il me voit le fusil en bandoulière et la plume au
chapeau.
J'étais donc
prêt, gants de bûcherons bien tirés, pelle de cantonnier (là, j'ai un doute sur
la réelle possibilité d'une telle association) à l'étrier, massue à la main, à
réduire en terril l'amas déjà informe de l'époque antérieure immédiate… quand
deux gouttes, présage d'un déluge imminent sous un ciel d'encre comparable à
celui qui accompagna les derniers instants du Christ au Golgotha, s'écrasèrent,
l'une sur cet appendice qui n'est pourtant pas, chez moi, en concurrence direct
avec celui de Cyrano – et l'on peut facilement imaginer que la visière de mon
couvre-chef le mettait à l'abri dune telle agression, ce qui ne fut pas le cas
un vent d'ouest inhérent à la situation météorologique du moment écartant toute
hypothèse de chute verticale du grain en gestation - l'autre sur le bout de mon
Truffaut droit où il éclata tel un
projectile mal ajusté pour s'étaler sans vergogne sur le cuir en plastique
chinois de mon acquisition jardinière. Sans nul doute ces deux gouttes annonçaient
dans un avenir immédiat des hallebardes à suivre.
Mon chien, la
pensée encore illuminée par mon poisson en sauce fictif (avec la sauce je
comprends mieux son intérêt), ne vit pas venir le déluge, il eut droit à un
arrosage en règle avant de s'apercevoir que la sauce était une saucée dont le
poisson n'aurait eu qu'à ce réjouir s'il avait existé et s'il eût été vivant.
Moi, alerté par les deux gouttes prémonitoires, sans demander mon reste ni la
permission à un patron également fictif comme le poisson (et sans objet vu mon
retrait confirmé de la vie dite active depuis une décade, donc patron de ma
propre destinée), je mis en hâte et en désordre mes outils consacrés au destin
d'une archéologie ultérieure contemporaine sous le toit de ma cabane qui n'a
rien de canadienne, et après une glissade inattendue mais non fatale au style
emprunté d'un mauvais skieur de fond sur un sol aux accents hivernaux, en cinq
enjambées dignes de Pantagruel et de Perrault réunis me retrouvait au
bercail abandonnant le chantier et
contraint, une fois de plus, de m'adonner à la procrastination.
Sale temps, vous
dis-je !.
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